Le passage au prélèvement à la source s’accompagne pour l’impôt sur les revenus de 2018 du crédit d’impôt pour la modernisation du recouvrement. A l’heure où beaucoup de sociétés peuvent encore opter pour l’IS, les avantages et inconvénients des deux modes d’imposition doivent être précisément évalués.
Le passage à l’impôt sur les sociétés figure habituellement en bonne place dans la « trousse à outils » du fiscaliste parmi les solutions permettant d’optimiser la situation de particuliers relevant des tranches supérieures du barème de l’impôt sur le revenu. Ses intérêts sont, en effet, multiples.
L’impôt sur les sociétés, un choix de gestion fiscale souvent pertinent
Il existe tout d’abord l’écart de taux entre les deux systèmes d’imposition, qui peut s’avérer tout à fait significatif. Il a d’ailleurs été encore accentué par la dernière loi de finances, qui a réduit le taux de l’impôt sur les sociétés à 25% à horizon 2022 tout en augmentant celui de la CSG de 1,7% : à terme, la différence pourra ainsi dépasser les 40 points pour certains revenus (25% d’IS contre 66,2%, soit 45% d’impôt sur le revenu, majoré de 17,2% de prélèvements sociaux et de 4% de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus).
L’impôt sur les sociétés peut aussi offrir des règles d’assiette plus favorables que l’impôt sur le revenu, comme la possibilité de déduire les amortissements ou les provisions, à la différence notable, par exemple, des revenus fonciers. En diminuant les revenus personnels du contribuable, il améliore également sa situation au regard du plafonnement de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), sous réserve toutefois de la règle anti-abus figurant à l’article 979, I-alinéa 2 du CGI.
Enfin, ses avantages ne se limitent pas uniquement à la sphère fiscale : le recours à une entité relevant de l’impôt sur les sociétés peut aussi permettre de réduire l’assiette des cotisations sociales du dirigeant ou de l’indépendant en la faisant passer de la totalité du bénéfice de l’entreprise à la seule rémunération qui lui est effectivement allouée.
La décision de basculer à l’impôt sur les sociétés n’est évidemment pas exempte de contraintes, à commencer par la renonciation du contribuable à disposer des résultats de l’activité concernée, sous peine de recréer les charges fiscales et sociales qu’il cherchait à éviter, ou encore comme une fiscalité parfois moins attractive en matière de plus-values (notamment pour les PME ou en matière immobilière). A ce débat classique, s’ajoute cependant cette année une question particulière : est-il judicieux de choisir l’impôt sur les sociétés en 2018, alors qu’il s’agit d’une année -au moins partiellement- « blanche » en matière d’impôts sur le revenu ?
2018, une « année (presque) blanche » en matière d’impôts sur le revenu…
Rappelons en effet qu’à titre de mesure d’accompagnement du passage au prélèvement à la source au 1er janvier 2019, le législateur a prévu un mécanisme original pour éviter une double contribution à l’impôt des particuliers l’année prochaine, à raison de leurs revenus de 2018 et de 2019.
Il consiste en l’octroi d’un crédit d’impôt pour la modernisation du recouvrement (CIMR) égal au montant de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux (CSG et assimilés) frappant leurs revenus courants de 2018 relevant de l’assiette du futur prélèvement (à savoir : les traitements et salaires, pensions, rentes, revenus des dirigeants, revenus fonciers et revenus des indépendants). Dès lors, seuls demeureront, le cas échéant, à la charge du contribuable, au titre de ses revenus de 2018, l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux frappant ses revenus placés hors du champ du prélèvement à la source (principalement les revenus mobiliers et les plus-values) ainsi que ses revenus exceptionnels, et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Sous ces réserves, il faut bien reconnaître que 2018 sera une véritable « année blanche » pour de nombreux contribuables.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le législateur a adopté certaines mesures destinées à empêcher des comportements d’optimisation tendant à majorer artificiellement les revenus de 2018 ouvrant droit au CIMR. On peut notamment citer à ce titre :
- la règle limitant, en matière de revenus fonciers, la déduction en 2019 des travaux, autres que les travaux d’urgence, décidés d’office par le syndic ou afférents aux immeubles historiques ou acquis en 2019, à la moyenne des dépenses de travaux déductibles payés en 2018 et 2019,
- et celle plafonnant, en principe, le montant du résultat des indépendants donnant droit au CIMR, au montant le plus faible entre leur bénéfice de 2018 et leur bénéfice le plus élevé des années 2015, 2016 et 2017 (avant prise en compte le cas échéant de l’abattement pour entreprises nouvelles). Si le bénéfice fiscal 2019 est supérieur à l’un de ces deux plafonds, un CIMR complémentaire est toutefois accordé.
… mais pas en matière d’impôt sur les sociétés
Dans ces conditions, le choix d’un assujettissement à l’impôt sur les sociétés en 2018 pourrait bien souvent s’avérer contre indiqué puisqu’il conduira à soumettre à l’impôt des revenus ou des bénéfices qui avaient vocation à y échapper grâce au CIMR. Aussi, une attention toute particulière devra être portée à la pertinence de certaines décisions qui seraient prises cette année.
On pense, tout d’abord, à la détermination du régime d’imposition d’une activité nouvelle : une exploitation directe par le contribuable ou le recours à une entité relevant du régime fiscal des sociétés de personnes constitueront des modes d’organisation présentant cette année un attrait inédit, même s’il faudra bien en mesurer les incidences sur le long terme.
S’agissant d’activités préexistantes, l’intérêt de procéder en 2018 à une option pour l’impôt sur les sociétés, à une transformation en société de capitaux, ou encore à l’apport à une entité relevant de l’impôt sur les sociétés d’une activité dont les résultats sont actuellement imposés à l’impôt sur le revenu (notamment la mise en société d’une entreprise individuelle ou l’apport de titres d’une société de personnes à une société relevant de l’impôt sur les sociétés) devra être bien évalué. Chaque fois que ces décisions auront pour effet de priver le contribuable du CIMR à raison des revenus de l’activité concernée, il conviendra sans doute de s’interroger sur l’opportunité de différer ces opérations à 2019 et ce, d’autant plus que le maintien d’un assujettissement à l’impôt sur le revenu permettra au contribuable de disposer pendant une année de plus des revenus correspondants.
S’agissant des sociétés de personnes, il conviendra également d’être vigilant face aux risques de survenance d’un évènement de nature à leur faire perdre leur translucidité fiscale, tels qu’un changement d’activité (société civile exerçant une activité industrielle ou commerciale, ou a contrario SARL de famille exerçant une activité purement patrimoniale) ou une modification dans la détention de leur capital social (disparition du lien familial entre associés d’une SARL de famille, entrée d’un nouvel associé dans une EURL détenue par une personne physique…).
Faut-il aller jusqu’à envisager de faire basculer à l’impôt sur le revenu les résultats d’une activité imposable jusque-là à l’impôt sur les sociétés ? Les solutions techniques existent en ce sens, qu’il s’agisse tout simplement de la cession des actifs générateurs de revenus à une personne physique ou une société de personnes interposée, de la transformation, voire la dissolution, d’une société de capitaux,des options prévues aux articles 239 bis AA (SARL de famille) et 239 bis AB du CGI (jeunes sociétés non cotées), ou encore de certains changements d’activité ou de composition du capital pouvant entraîner le passage d’une société de capitaux au régime fiscal des sociétés de personnes.
Néanmoins, ces opérations ne seront généralement pas neutres fiscalement. La cession d’actifs pourra engendrer la taxation de plus-values et l’exigibilité de droits de mutation. Le passage d’une société de l’impôt sur les sociétés à l’impôt sur le revenu emportera, quant à lui, toutes les conséquences d’une cessation d’entreprise, à savoir l’imposition immédiate des bénéfices non encore taxés, y compris, sous réserve du bénéfice de l’atténuation conditionnelle, les plus-values latentes sur les éléments d’actif et les profits latents sur stocks, la perte des éventuels déficits fiscaux et une possible imposition des associés au titre d’un boni de liquidation. Les effets d’une telle décision devront donc être mis en balance avec les avantages escomptés.
En outre, on ne peut exclure que ce changement de régime fiscal soit contesté par l’administration fiscale sur le terrain de l’abus de droit, dans l’hypothèse où l’activité en cause reviendrait rapidement ensuite dans le giron de l’impôt sur les sociétés.
Dans quels cas envisager un passage à l’impôt sur les sociétés en 2018 ?
Faut-il pour autant totalement renoncer à se placer sous le régime de l’impôt sur les sociétés en 2018 ? Par principe, ce choix peut tout d’abord demeurer pertinent pour les revenus exclus du CIMR, qu’il s’agisse des revenus hors du champ du prélèvement à la source ou des revenus exceptionnels. Ainsi, un apport de titres à une holding relevant de l’impôt sur les sociétés peut être envisagé en vue d’organiser la remontée de dividendes en régime mère-filiale ou la réalisation de plus-values de cession de titres (opérations d’apport-cession notamment).
Par ailleurs, une imposition à l’impôt sur le revenu est susceptible de générer un certain nombre de coûts indirects. Pour les dirigeants et les indépendants, il faudra en particulier tenir compte du surcroît possible de cotisations sociales. Il existe aussi le frottement fiscal en matière de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, celle-ci n’ouvrant pas droit au CIMR. En matière d’IFI également, la solution de l’impôt sur le revenu pourra s’avérer pénalisante pour le calcul du plafonnement, puisqu’elle aura pour effet de majorer les revenus du foyer fiscal du montant des résultats de l’activité en cause.
Enfin, le recours à des entités soumises à l’impôt sur les sociétés sera parfois utile dans la gestion des déficits utilisés ou constatés au titre de l’année de transition. Il convient au préalable d’observer que les déficits imputables en 2018 sur des revenus ouvrant droit au CIMR ne procurent, en définitive, aucune réelle économie d’impôt : s’ils réduisent les bases d’imposition de 2018, ils diminuent corrélativement le montant du CIMR. Il s’agit donc d’un jeu à somme nulle. Il pourrait dès lors être tentant de chercher à les préserver en vue d’une meilleure utilisation ultérieure.
Cela pourrait précisément passer par le recours à des entités relevant de l’impôt sur les sociétés, lequel poursuivra des objectifs différents selon le millésime des déficits considérés :
- pour préserver des déficits existant déjà en report au 1er janvier 2018, le but sera de les priver de terrain d’imputation en 2018 en apportant des activités bénéficiaires à une structure opaque fiscalement ;
- pour sauvegarder un déficit prévisionnel en 2018, l’idée serait au contraire d’isoler l’activité correspondante dans une société à l’impôt sur les sociétés pour éviter qu’il ne s’impute inutilement sur les autres revenus de 2018 ouvrant droit au CIMR. Les déficits conservés pourront ensuite venir en déduction, dans les conditions ordinaires, des premiers bénéfices ultérieurs constatés.
Bien sûr, des choix aussi structurants, impliquant un passage de certaines activités à l’impôt sur les sociétés, ne pourront être envisagés en pratique que s’ils s’inscrivent dans une véritable stratégie de réorganisation à long terme et si, de ce point de vue,les enjeux le justifient.
En tout état de cause, on ne pourra que constater que la gestion des activités bénéficiaires et déficitaires répondra à des logiques différentes durant cette année de transition, rendant encore plus nécessaire une analyse fine de la situation de chaque contribuable.
Pour conclure, et à l’heure où beaucoup de sociétés sont encore placées dans le délai d’option, il semble important de souligner qu’un passage à l’impôt sur les sociétés en 2018 pourrait s’avérer, pour de nombreux contribuables, inopportun dès lorsqu’il serait de nature à les priver des effets bénéfiques de l’« année blanche ».En 2018, plus que jamais, il leur appartiendra donc de bien évaluer les avantages et inconvénients respectifs d’une imposition à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés.