Dutreil
DISPOSITIF « DUTREIL » : LA LOCATION D’IMMEUBLES ÉQUIPÉS, VOIRE MEUBLÉS, DEVIENT (ENFIN) UNE ACTIVITÉ COMMERCIALE
Par agnes-hector Le 16/08/2023
LA COUR DE CASSATION VIENT DE RENDRE, EN MATIÈRE DE DROITS DE MUTATION À TITRE GRATUIT, UN ARRÊT QUI PEUT FAIRE SAUTER UN DES DERNIERS VERROUS À L’APPLICATION DU DISPOSITIF « DUTREIL ».
L’article 787 B du code général des impôts organise une exonération partielle de droits de mutation au profit des transmissions à titre gratuit de parts de sociétés, connu sous le nom de « dispositif Dutreil », et qui s’élève à 75 % de la valeur des parts ainsi transmises. Cet allègement fiscal bénéficie aux transmissions, en pleine propriété, en usufruit ou en nue-propriété, de parts ou d’actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
Seules sont éligibles au dispositif les parts sociales ou actions représentatives de la fraction du capital social d’une société détenues par les associés ou actionnaires (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 10, 21 déc. 2021), pourvu, cependant, que cette entité exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l’exclusion des activités de nature civile, le régime d’imposition de la société participant par ailleurs d’un élément sans incidence pour l’application du dispositif (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 25, 21 déc. 2021). Sont ainsi considérées comme activités commerciales les activités mentionnées aux articles 34 et 35 du code général des impôts, à l’exclusion des activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 15, 21 déc. 2021 ; notons toutefois que la doctrine administrative en vigueur entre le 19 mai 2014 et le 11 octobre 2018 admettait ces activités au bénéfice de la qualité d’activités commerciales…).
Cette condition d’exercice d’une activité industrielle ou commerciale entraîne ainsi, corrélativement, l’exclusion du champ d’application de ce dispositif de toutes les sociétés exerçant des activités de location de locaux nus, quelle que soit l’affectation des locaux, de location de locaux meublés à usage d’habitation, de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaire à leur exploitation ou de promotion en restauration de son patrimoine immobilier, consistant à faire effectuer des travaux sur ses immeubles (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 15, 21 déc. 2021). C’est précisément à cette dernière condition que l’arrêt rendu le 1er juin dernier par la chambre commercialle de la Cour de cassation vient d’apporter un éclairage nouveau.
Les faits de l’espèce sont les suivants. Deux époux ont procédé, en faveur de leurs enfants, à une donation-partage de la propriété de plusieurs parts sociales en demandant à bénéficier du régime de faveur prévu par l’article 787 B du code général des impôts, et se prévalant ainsi de l’exonération de droits de donation à concurrence de 75 % de la valeur des parts transmises. L’administration fiscale a remis en cause le bénéfice de cette exonération partielle, position que les donataires ont contestée devant les juridictions du fond, lesquelles ont rejeté leurs prétentions, et notamment la Cour d’appel de Paris aux termes d’un arrêt en date du 21 février 2022 contre lequel ils ont formé pourvoi en cassation.
Le moyen développé par les demandeurs au pourvoi précisait qu’« exerce une activité commerciale la société qui donne en location un établissement commercial ou industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation ; qu’en se bornant à relever que l’activité principale de marchand de biens des sociétés (…) n’était pas démontrée pour en déduire que les consorts [C] ne pouvaient bénéficier de l’exonération partielle en cause, sans rechercher, comme elle y était invitée si la société CFI n’exerçait pas une activité de location équipée, constituant une activité commerciale à part entière au sens de l’article 35, I, 5°, du code général des impôts, la rendant éligible au régime de faveur de l’article 787 B du code, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des deux textes susvisés ». Les hauts magistrats y trouvèrent argument pour casser l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris au motif que « constitue une activité commerciale l’activité de loueur d’établissements commerciaux ou industriels munis d’équipements nécessaires à leur exploitation, que la location comprenne, ou non, tout ou partie des éléments incorporels du fonds de commerce ou d’industrie » et que « en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, à la date des donations-partage, la société CFI n’exerçait pas l’activité commerciale de loueur d’établissements commerciaux ou industriels munis d’équipements nécessaires à leur exploitation, susceptible de rendre la transmission des parts de cette société éligible au régime de faveur de l’article 787 B du même code, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision », reprenant ainsi textuellement le moyen soulevé par les requérants.
Il ressort donc de cet arrêt que l’activité de location de locaux commerciaux ou industriels équipés des équipements nécessaires à leur exploitation participe d’une activité commerciale au sens de l’article 787 B du code général des impôts (et, par voie de conséquence, au sens de l’art. 787 C du même code qui ouvre ce même dispositif aux transmissions d’entreprises individuelles), et peut ainsi bénéficier de l’allègement de droits de mutation organisé par ce texte.
Après avoir opportunément ouvert l’accès de cet allégement fiscal aux holdings animatrices (Com. 21 juin 2011, n° 10-19.770 F-P+B, Dalloz actualité, 4 juill. 2011, obs. X. Delpech ; Rev. sociétés 2011. 581, note J.-P. Dom et N. Goulard ; RJF 11/11? n° 1241 ; 14 oct. 2020 n° 18-17.955 FS-P+B, Rev. sociétés 2021. 260, note R. Vabres ; RJF 1/21 n° 92), la Haute juridiction judiciaire vient apporter une nouvelle pierre, encore plus décisive, au champ d’application de ce dispositif.
Une solution incontestable qui maintient une logique parfaite au sein de la notion fiscale d’activité commerciale
Cette solution, au demeurant, ne nous étonne pas et tire les conséquences logiques de l’article 35 du code général des impôts, qui qualifie de bénéfices industriels et commerciaux les profits retirés par les « Personnes qui donnent en location un établissement commercial ou industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation, que la location comprenne, ou non, tout ou partie des éléments incorporels du fonds de commerce ou d’industrie ». À la différence de l’administration fiscale, la Cour de cassation n’établit aucune distinction entre la notion d’activité industrielle et commerciale au sens de l’article 787 B, d’une part et celle d’activité industrielle et commerciale au sens de l’article 35, d’autre part, de telle sorte que cette notion doit être désormais parfaitement envisagée à l’aune de ce dernier texte.
Il serait en effet difficilement concevable qu’il en fût autrement. Certes, il est acquis de longue date que la location d’immeubles ou de logements meublés revêt un caractère civil (Civ. 15 févr. 1921, Gaz. Pal. 1921. 1. 337), position qui trouve son fondement dans l’idée selon laquelle la location d’un immeuble ne constitue pas une entreprise commerciale, quelles que soient les conditions de location. Il en va ainsi que l’immeuble soit loué nu ou qu’il soit loué meublé (Civ. 30 avr. 1862, DP 1862. 1. 351), et la location meublée n’est regardée, en droit privé, comme participant d’une activité commerciale que dans l’hypothèse où les conditions de l’exploitation en font une véritable entreprise commerciale (T. civ. Seine, 29 oct. 1935, Gaz. Pal. 1935 2. 620). Mais le droit fiscal, suivant en cela l’autonomie qui lui est consubstantielle, considère la location meublée comme une activité commerciale, et cette position trouve son fondement dans le fait que cette opération combine une activité civile (location d’immeuble) et une activité commerciale (location de meubles), cette dernière revêtant un caractère attractif qui l’emporte sur l’activité civile. Si les spécificités des diverses branches du droit fiscal peuvent conduire à des traitements différents en fonction des impositions (et c’est ainsi que la TVA peut adopter des conceptions originales par rapport aux droits de mutation ou aux impôts sur les bénéfices…), on ne saurait, au risque de complexifier davantage le maquis déjà fort épais de la fiscalité, développer à l’égard des notions juridiques une conception autonome pour chaque catégorie d’imposition !
Dès lors que l’activité de location d’immeubles équipés participe d’une activité commerciale au sens de l’article 35 du code général des impôts, il serait aussi naturel que nécessaire qu’elle revêtît les mêmes caractéristiques pour l’application des autres dispositions de la loi fiscale. Il serait donc inconcevable que la location d’immeubles équipés participât d’une activité commerciale au sens de l’article 35 du code général des impôts, qu’il en allât de même en matière de TVA, pour l’application de l’article 256 du même code (v. BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-30, nos 40 et 50, 12 sept. 2012), mais qu’il en fût différemment en matière de droits d’enregistrement, au regard des articles 787 B et 787 C du même code !
Il ne faut donc pas s’étonner que, devant les égarements du législateur fiscal, la Cour de cassation ait fait le choix de la rationalité et du cartésianisme en adoptant de la notion de location d’immeuble équipé une vision en tous points conforme avec le principe général posé par le législateur fiscal : la specialia ne s’est pas détachée du giron de la generalia !
Une portée qui doit nécessairement transcender le domaine des locations immobilières commerciales et industrielles pour s’étendre aux locations meublées à usage d’habitation
La portée de cet arrêt est d’autant moins négligeable qu’à l’énumération des activités commerciales portée par l’article 35 du code général des impôts sont venues s’adjoindre, depuis le 1er janvier 2017 (v. Loi n° 2016-1918 du 29 déc. 2016, art. 114, JO 30 déc. ; Dr. fisc. 2017, n° 1, comm. 37, obs. P. Fernoux) les « Personnes qui donnent en location directe ou indirecte des locaux d’habitation meublés ». Et si nous nous permettons cette mention qui pourrait paraître hors de propos par rapport à l’arrêt commenté, c’est bien parce que la portée de la décision des juges de cassation transcende les seuls rivages de l’article 35, 5 du code général des impôts pour s’étendre à l’article 35, 5 bis du même code, ouvrant ainsi la porte à l’admission des locations de locaux équipés (à usage commercial ou professionnel) ou meublés (à usage d’habitation) au bénéfice du dispositif « Dutreil ». Les termes par lesquels la Cour de cassation fait, en effet, entrer les locations immobilières équipées dans le domaine d’application de l’article 787 B ne peuvent, mutatis mutandis, que largement profiter aux locations immobilières meublées, et nous comprendrions mal qu’il en allât différemment…
En rendant enfin à ces activités la qualité commerciale que le législateur fiscal leur a assignée par le biais de l’article 35 du code général des impôts, la Cour de cassation ouvre aux sociétés de locations immobilières l’accès à l’exonération partielle de droits de donation ou de succession prévue par le dispositif « Dutreil », et quand on considère l’importance que revêt le « phénomène » de la location équipée ou meublée, qu’elle soit exercée à titre individuel ou sous une forme sociale, cet arrêt se révèle d’autant plus essentiel, révélant une portée nécessairement considérable. L’affaire ayant été renvoyée devant la Cour d’appel de Paris, la question se pose cependant de savoir si cette solution, rendue par la seule chambre commerciale, résistera aux aléas de la procédure. Cette solution, que nous saluons, est d’autant plus appréciable que les droits de mutation à titre gratuit constituent, par leur tarif étouffant, une charge particulièrement lourde sur les transmissions d’entreprise. Aussi le législateur aurait-il la sagesse de ne pas la contrecarrer en accordant à l’administration fiscale sans doute désemparée le privilège effarant d’une validation législative, dont tant d’exemples émaillent les pages du code général des impôts…
© Lefebvre Dalloz